Les Huashengs et les Nymphes
Il existe 4 formes de vie d’après le concept bouddhiste : naissance de l’œuf , de la matrice, par moisissure (les vers luisants) et par transformation.
La naissance par transformation, en chinois 化生 (transformer – vie ou naissance), c’est-à-dire une vie apparaît d’un vide. On ne trouve pas de cause prédestinée, ni de fruit post-destiné, ainsi elle se charge d’aucune responsabilité qu’elle doit remplir.
Je fouille mon mémoire et ne trouve qu’une figure qui mérite d’être nommée la naissance par transformation dans la littérature chinoise – le roi singe (voyage en Occident), il est né spontanément d’une pierre, après avoir absorbé l’essence du soleil, de la lune, de la nature ou n’importe quoi, c’est une existence sans lien du sang, il ne tient qu’une liaison avec le monde extérieur: celle entre lui et la nature.
Cela m’amène immédiatement à Laozi, fondateur du Taoïsme, dans son livre la première phrase est : Le créateur (la nature, le ciel et la terre si on traduit mot-à-mot) est cruel, il nous traite comme des chiens.
Alors le roi singe, qui est né de la mère Nature, transfère et interprète la nature de la Nature : cruel si on veut – ou plutôt sans émotion, impassible, ainsi libre de la tristesse, du regret ou de la joie.
Dans l’art chinois si on revient à la Grotte des milles Bouddhas, on trouve une autre créature intéressante : on l’appelle exactement 化生 : ce sont toujours des enfants - de très jeunes garçons, né de lotus (pureté, fleur du monde céleste). Si on remonte à la première période de la Grotte, entre 400 – 500 B.C., ils n’ont qu’une tête, avec le reste du corps caché – ou ils refusent de transformer le reste du corps – dans le lotus. Plus tard quand la peinture devient plus mûre on trouve des bébés gros avec visage souriant et insouciant, comme dans celles de la Dynastie des Tang ou du Japon, comme les chérubins.
Mais je trouve toujours une expression presque malice dans leurs sourires innocents. Ils se moquent de nous, les pauvres créatures esclave des émotions.
Si on n’a pas de chair, le désir perd le véhicule, l’esprit n’a aucune lourdeur et se flotte au vent (Hier soir j’ai vue un film l’homme sans tête, c’est intéressant car l’homme sans tête se procure l’amour, l’homme sans corps se procure pourtant quelque chose de spirituel, et d’après nous, l’esprit s’estime toujours supérieur au besoin matériel – animal – du corps. )
Voilà la vie légère, grâce à la manque de liens avec la créature émotionnelle, si on pourrait se dégager des liaisons, s’il n’y a pas d’amours ni d’actes, on finit par jouir d’une joie sublime, une joie éternelle.
Eteindre le désir est d’allumer la voie vers une vraie fermeté.
Très semblable, on trouve dans les mythes grecs les Nymphes.
Si on compare la vie par transformation aux Nymphes, on trouve des extrémités : masculin et féminin, jeune garçon qui n’a pas encore développé un esprit, qui ne vit que dans le monde enfantin et intérieur, et les jeunes filles nourrissent de l’amour et de l’acte amoureux, laid et jolie, dureté et tendresse. Le point commun se trouve ici : on est né, tous les deux, de néant.
J’ai toujours l’impression que la philosophie chinoise (ou une partie de celle-ci) peut s’interpréter par la figure masculine, souvent très jeune ou très vieille: incapable de rêver quelque chose d’extérieur, on aspire à quelque chose de plus intérieur, plus spirituel, plus vers le ciel, plus pur, plus simplifié, plus ignoré, plus retour à soi même, plus égoïste. Et la philosophie ou la religion d’autre part, c’est l’amour : l’amour signifie surtout la faiblesse – mais, on se sauve par aimer, aimer son voisin comme soi même.
Alors après tout, où se trouve la voie du salut ?
Une autre mythologie veut que Nezha, une autre figure taoïste, tue le méchant (haha) fils du roi-dragon, le dernier entre en colère et la guerre va déclarer, le conflit se résout par la suicide de Nezha, et il dit en se tuant: je rends la semence à mon père et du sang à ma mère.
Il doit la dette à ses parents, mais il la leur rend, par ce moyen la lourdeur devient légère : il renaît du lotus : l’existence par transformation, la rompe et le refus de créer le lien: cette mélodie revient toujours et éternellement.
Une chose curieuse est que le mot « devoir » comporte deux sens : je te dois du sang, et cette dette inévitable devient mon devoir. Quelle tragédie ! Et on NE S’EN FUIT PAS.
Ainsi le roi singe n’est qu’un lâche mais Nezha est le vrai courageux, car la légèreté ne se réaliser qu’après la lourdeur.
Si on n’arrive pas à éviter quelque chose de prédestiné, on l’accepte et on se laisse mener par le destin. Oui, la mort, notre destin: je ne dis pas de dette physique, je dis qu’on accepte la souffrance de voir quelqu’un qui part peu à peu, les larmes quand on rappelle les choses qu’on croit oublier depuis longtemps, les berceuses, le parfum, la caresse et les gifles, les baisers d’amour et l’accent tendre du Sud, les années ensembles et les prières. Si on n’arrive pas à rendre la dette aux parents par le moyen de donner la vie à un(e) inconnu(e), on pourrait au moins les rendre par toutes ces nuits blanches, par la souffrance, par la COM-passion - Maman, le lien du sang est si mystérieux et inexplicable.
Baisser les yeux, lamenter devant le destin qui ne m’a pas choisie de partir pour toi ma chère maman, je ne trouverai jamais de bras tendres comme les tiens. Je serai jamais complète, et je laisserai cette brèche intacte comme la cicatrice tu m’as laissée, c’est la seule chose que je pourrais faire, pour rester fidèle à toi, pour rester fidèle à notre sang.